Station béton et sept tasses à café

Grondements. Vibrations du sol. Chantier.

La terre de la Duchère ne respire plus guère sous ces milliers de tonnes de béton coulées depuis la reconstruction. Ce sont les architectes et les ingénieurs, peut-être réincarnés de l'époque des bâtisseurs de pyramides de Touthankhamon, qui sont à l’œuvre désormais. La marguerite n'a plus droit de cité, ni le coquelicot, ni la dent de lion. Il faut du concret, de l'utile, du rentable.

 Affairés à leur chaise de bureau, les concepteurs de la Société Nouvelle de Construction - fondée en 1949 par les frères Jules et Jean Marin grâce à l'argent sorti du matelas de leur père très prévoyant, ne chôment pas. Ils tracent, délimitent, symbolisent, mesurent les espaces que d'autres ont arpenté et arpenteront bientôt. Il faut imaginer que la vie va revenir dare-dare dans ce secteur à l'expansion programmée. Il faut aller droit au but et ne pas s'embarrasser de tergiversations. Certes, les champs et les espaces verts vont complètement y passer mais on ne fait pas d'omelette sans casser d’œufs.
Les lignes s'ajoutent les unes aux autres, représentant les fondations, les murs, les toits, les issues de secours, les couloirs, les coursives, les escaliers : tout un monde en 3D farci de lignes droites comme un patron Burda, et qui sera bientôt réalisé.

Un peu trop rectiligne tout de même.

Déjà gris, déjà triste, déjà trop carré pour être vivant.

Alphonse séchait sur son plan : toute la partie gauche restait blanche, privée d'idées pour dessiner la nouvelle vie de la nouvelle ville.

C'est alors que le jeune stagiaire, celui qui jusque là avait juste été préposé au service du café et des tapas, eut un éclair de génie. Lui qui n'arrivait pas à suivre la dynamique réglée comme une horloge de la reconstruction du quartier, il s'empara brusquement des tasses oubliées au bord des tables d'architecte et les utilisa comme pochoirs :
"Je brise les lignes, s'exclama-t-il en suivant les courbes céramiques de bâtiments arrondis au bord du boulevard. Que les silos soient ronds pour que les habitants arrondissent leurs mœurs à l'image de nos tasses !"
Sur le plan déjà, les 7 tasses posées préfiguraient un peu les tours de la fabrique qui accueillerait bientôt les trois-huit alentours.

C'est tout ? demanderez-vous.

Eh bien oui, l'architecture a ses raisons. Et puis pour la plus grande, celle des ateliers, c'est l'assiette à tapas qui a servi de forme. Voyez d'ailleurs comme les trois Italiens, ouvriers du bâtiment en pause casse-croûte, écrasés sous le soleil des toits absents, ont bien investi les lieux déjà, chacun dans son secteur, entre grue, échafaudage et coffrages, fourmis insolites de la fourmilière à venir.






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